mercredi 17 juin 2020

Châtiments (5)

9 mai





Jeudi dernier, j’ai été convoquée au poste de police. Et, jusqu’à l’heure du rendez-vous qui m’avait été fixé, tard dans l’après-midi, je me suis fait un sang d’encre. Qu’est-ce qu’on pouvait bien me vouloir ? J’avais beau chercher encore et encore, je ne voyais pas. Je ne voyais vraiment pas. Et je sollicitais en permanence Manon.

‒ À ton avis, pourquoi ça peut être ?

‒ Mais ma pauvre maman, qu’est-ce que tu veux que j’en sache ? Et qu’est-ce que tu te tracasses ? Tu n’as tué personne. Tu n’as volé personne. Tu payes tes impôts. Tu es en règle. Pour tout. C’est dans ta nature. Alors, ça doit être le genre de truc sans aucun intérêt. Ton témoignage pour une dispute entre voisins. Ou les papiers que t’avais perdus l’année dernière qui ont enfin été retrouvés.


Ce n’était pas un truc sans intérêt, non. C’était pour me signifier que mon violeur de juillet 2037 allait être fouetté sur la grand-place d’Angers.

‒ Ça aura lieu samedi prochain. Des places vous ont été réservées au premier rang ainsi qu’aux neuf autres victimes.

Et pour m’encourager vivement à m’y rendre.

‒ Être puni devant vous portera bien davantage ses fruits.

Peut-être, oui. J’irais peut-être. Je savais pas.

‒ C’est vous qui voyez !

Et elle m’a tendu un bon d’accès que j’ai enfoui machinalement dans ma poche.


Sur le chemin du retour, tout m’est revenu. En vrac. Son souffle dans mon cou. Mes cheveux violemment tirés en arrière. L’odeur âcre du couvre-lit. Ses mots. Orduriers. Méprisants. La douleur quand il m’a sauvagement pénétrée. Son halètement sur ma nuque quand il a joui. Et puis l’humiliation quand il a exigé que je me lave ensuite devant lui. « Que tu ne gardes aucune trace de moi. » Son regard sur mon corps. Qu’il a détaillé. Qu’il a jaugé. Sa petite moue dédaigneuse. « Finalement, t’as de la chance de m’avoir rencontrée, hein ! Parce que, foutue comme t’es, on voit vraiment pas qui pourrait avoir envie de toi. »

J’ai été prise de nausées. Et j’ai vomi, appuyée à un arbre.


Manon et ses copines ont ouvert des yeux ronds.

‒ Et tu hésites ! C’est pas vrai que tu hésites ! Mais pourquoi ? Pourquoi ? Quand on sait comment il t’a traitée, ce type !

‒ Je le hais. Si tu savais comme je le hais !

‒ Ben alors ! Raison de plus !

‒ J’ai peur.

‒ Peur ? Peur de quoi ? De la laisser déferler, ta haine, c’est ça, hein ? Et alors ? La belle affaire ! T’as été trop bien élevée, maman. Avec des idées d’avant. Exprimer ses sentiments, on n’a pas le droit. Haïr, ça ne se fait pas. Ça ne se montre pas. C’est pas bien. Ben, si, ça se fait, si ! T’as dix mille raisons de le lui montrer à ce type que tu le détestes. Il t’a mise plus bas que terre. Il t’a considérée comme un objet dont il s’arrogeait le droit de se servir à sa guise. Et il faudrait qu’en plus tu te sentes coupable d’avoir envie de le lui faire payer ? Non, mais alors là, ce serait la meilleure. Mais vas-y, merde ! Vas-y ! Gueule ! Insulte-le ! C’est tout ce qu’il mérite. Ça ne fera pas que ce qui a eu lieu n’ait pas eu lieu. Non. Évidemment. Mais ça te fera le plus grand bien. Et je sais de quoi je parle. Ça te soulagera. Au moins un peu.


J’y suis allée. Et je me suis retrouvée, au premier rang, avec cinq autres de ses victimes. Avec lesquelles, en attendant que ça commence, j’ai sympathisé. On avait vécu la même chose. Exactement la même chose. On ne pouvait que se comprendre. Et lui en vouloir. Toutes autant qu’on était. Et elles étaient bien décidées à lui en faire voir, les autres. « Ah, ça, il va pas s’en tirer comme ça ! » Même si on était toutes d’accord pour dire que jamais il ne pourrait l’acquitter complètement sa dette. « Parce que c’est jusqu’à la fin, nous qu’on va devoir vivre avec ça ! »

L’ordonnatrice a d’abord rappelé, au micro, ce qui lui était reproché et il a fait son entrée, entièrement nu, sous les huées, entre ses deux exécutrices qui l’ont obligé à faire face à la foule. Il a voulu se dissimuler de ses mains. Les huées ont redoublé. Elles l’ont forcé à les retirer. Elles les lui ont solidement maintenues et elles l’ont laissé là, un bon moment, sous les quolibets et les insultes. Avant de l’attacher, par les poignets, les bras en l’air, à une poulie fixée à un filin qui courait d’un bout à l’autre de l’estrade. Elles ont fait claquer leurs fouets en l’air et il les a regardés d’un air terrorisé, ce qui a déclenché les rires de l’assistance. Une assistance qui a réclamé : « Allez ! Allez ! Faites-le danser ! » Et un premier coup a claqué. Sur ses cuisses. Il a crié. Il s’est retourné. Un autre. À pleines fesses. Quantité d’autres. Sous les encouragements de la foule. Ça s’inscrivait sur sa peau en grandes zébrures rougeâtres qui lui arrachaient, chaque fois, des hurlements à fendre l’âme. Au bout d’un moment, il s’est mis à tournoyer sur lui-même. Elles, elles cinglaient ce qui se présentait. Alternativement les fesses, le dos. Et puis les cuisses, le ventre. Il sautillait sur place, d’un pied sur l’autre. Se tortillait. Pour la plus grande joie des spectatrices qui exigeaient : « Encore ! Encore ! Plus fort ! Plus fort ! Le ménagez pas ce salaud ! » Mes voisines s’étaient levées. Elles l’insultaient copieusement. Elles l’injuriaient à qui mieux mieux. Je l’ai fait avec elle, le poing dressé dans sa direction. Une bouffée de plaisir m’a submergée. Dont je n’ai pas eu honte.


mercredi 10 juin 2020

Châtiments (4)

30 avril


Comme prévu, dimanche dernier le « oui » l’a emporté haut la main. 86,12 % des suffrages. Et, dans la foulée, les premières « exécutions » ont eu lieu aujourd’hui. Un samedi. De façon à ce que tous ceux qui le souhaitaient puissent y assister. La fameuse vertu supposée de l’exemplarité.

Manon et six de ses copines sont montées à Lille voir ça « en live », comme elles disent. Elles ont eu beau être sur place dès six heures du matin, c’était déjà noir de monde. Et elles se sont trouvées tellement loin de l’estrade qu’elles ont dû suivre le déroulé des opérations sur leurs smartphones.

‒ On voyait nettement mieux. En gros plan. Et comment ils ont été pitoyables, ces pauvres types ! Ah, ça, pour s’en prendre à plusieurs à une nana isolée, ils sont forts, pleins de courage, mais faire preuve d’un minimum de dignité quand il s’agit de recevoir quelques coups de fouet en public, alors là, non, il y a plus personne. Comment on les a hués ! Et insultés. T’as entendu ça ? Ah, ce coup-là, ils vont être vaccinés.

Je ne sais pas si ça aura été aussi efficace qu’elle en semble convaincue, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que d’une manière générale, et pour autant que j’aie pu en juger par la dizaine de reportages sur le vif qui nous ont été proposés ce soir, ils ont offert un spectacle lamentable. Et ce, que ce soit à Lille, Bordeaux, Strasbourg, Amiens ou ailleurs. Hurlements sous les fouettées, pleurs, supplications, tentatives de fuite désespérées. Ils n’ont, dans l’immense majorité des cas, fait preuve d’aucune retenue, d’aucune force de caractère.

‒ Mais comment veux-tu qu’il en soit autrement, ma pauvre maman ! Ce sont des lâches. Et ce n’est sûrement pas dans ce genre de situation qu’ils vont cesser de l’être. Maintenant au moins tout le monde saura ce qu’il en est. Ce qu’ils sont. Au boulot. Dans leur quartier. Partout. Et ça continuera à se savoir. Parce qu’elles vont circuler un sacré moment, les vidéos. Où qu’ils aillent, elles les rattraperont. Même dans dix ans. Même dans vingt ans. Mais ça, je les plains pas, hein ! Ils n’ont que ce qu’ils méritent.

Tard dans la nuit la chaîne Feminissima a proposé un document qui se voulait un peu plus approfondi sur les cinq « exécutions » qui ont eu lieu à Toulouse. Elle a notamment mis l’accent sur la personnalité des condamnés. Trois d’entre eux avaient manifestement passé toute leur adolescence dans un contexte où la femme était tenue pour quantité négligeable. Ils la méprisent ouvertement et considèrent qu’elle n’existe que pour satisfaire leurs instincts. Comme l’a dit sans détours l’un d’entre eux : « T’en vois une. Elle te plaît. Tu la prends. » Ceux-là, peut-être la peur du fouet les dissuadera-t-elle de recommencer. Probablement même. À moins qu’ils ne s’entourent à l’avenir de davantage de précautions pour perpétrer leurs forfaits. Mais, sur le fond, il n’y aura pas grand-chose de changé. En réalité, ils ne comprennent pas vraiment ce qu’on leur reproche. Pour eux, c’est clair, on porte atteinte à leur liberté de façon parfaitement arbitraire. Qu’on les mette, dans un premier temps, hors d’état de nuire en les fouettant, c’est sans doute nécessaire puisque, selon les études qui ont été faites, il n’y a que cela qui soit vraiment efficace. Il faut parer au plus pressé et protéger leurs victimes potentielles. Ce n’est, à l’évidence, pas suffisant. Ce sont leurs mentalités qu’il faudrait, le plus rapidement possible, les amener à modifier.

Si ces trois-là n’ont pas forcément conscience de la gravité des actes qu’ils commettent, en raison de l’environnement dans lequel ils ont baigné, ce qui n’excuse rien, ce n’est absolument pas le cas des deux autres qui, eux, sont éduqués. L’un est médecin anesthésiste, l’autre ingénieur. Le premier profitait de son statut professionnel pour abuser, à l’occasion, de façon ignoble, des femmes qu’il avait endormies. Quant à l’autre, son « truc », c’était d’humilier ses victimes autant que faire se pouvait. L’une de ses activités favorites consistait à s’introduire, pendant les périodes de canicule, dans les appartements de femmes seules dont les fenêtres étaient restées ouvertes, de les immobiliser et de les « travailler » longtemps en s’efforçant de les amener malgré elles au plaisir. Ces deux-là, le deuxième surtout, me révulsent profondément. Ce sont des êtres abjects. Qui ont mille et mille fois mérité la punition qu’on leur a infligée. Une punition que j’ai voulu revoir. Et c’est, je l’avoue, avec une certaine jubilation que j’ai regardé le fouet s’abattre sur leurs fesses et sur leur dos. Que je les ai vus se tortiller sous les cinglées. Que je les ai écoutés gémir et hurler à la fin. Je ne les plaignais pas. Ah, non alors ! Non ! Sûrement pas. Après ce qu’ils avaient fait ! Ces pauvres femmes ! Ces pauvres femmes qui ne demandaient rien à personne et qu’ils avaient… C’était inique. Monstrueux. Trois fois je me suis repassé la séquence. Trois fois. Et, la dernière fois, je me suis imaginé que c’était moi qui le maniais, le fouet. Avec quelle application ! Avec quelle détermination. Je ne les ménageais pas.

Ça m’a fait un bien fou.


mercredi 3 juin 2020

Châtiments (3)

22 avril



‒ Faut que tu voies ça ! Faut absolument que tu voies ça !

Et Manon a lancé la vidéo.

C’était un campus. Au soleil. Il y avait des étudiants allongés sur les pelouses. Tout seuls ou par petits groupes. D’autres qui déambulaient, leurs livres sous le bras. Surtout des filles. Beaucoup de filles.

‒ Je vois pas ce que

‒ Attends ! Attends ! Ça va venir

C’est effectivement venu. D’un coup. Des types. Une quarantaine. Peut-être plus. Cagoulés. Qui se sont jetés sur les filles. Avec détermination. Avec rage. Et qui les ont déshabillées. Complètement. Qui leur ont arraché leurs vêtements. Malgré leurs cris. Malgré les tentatives désespérées qu’elles faisaient pour leur échapper. Certains de leurs camarades garçons ont tenté de voler à leur secours. Ils ont été jetés à terre. Bourrés de coups de pied et de coups de poing.

J’étais horrifiée.

‒ C’est pas possible ! Non, mais c’est pas possible !

‒ Eh, si ! Tu vois où on en est ? Tu le vois ?

Ils sont partis comme ils étaient venus. En emportant robes, corsages, tee-shirts et pantalons. Petites culottes, strings et soutien-gorge qu’ils ont triomphalement brandis devant la caméra avant de les jeter à l’arrière d’une camionnette. Sur le campus des filles couraient, nues, en tous sens. Certaines au hasard, d’autres en direction des portes de la fac. Il y en avait trois ou quatre qui restaient prostrées dans l’herbe, sans réaction, sans même songer à dissimuler leur nudité, à l’endroit même où elles avaient été agressées. Il y a eu un long instant de flottement et puis des gens ont surgi des maisons avoisinantes qui avec des vêtements de fortune, qui avec des couvertures. On les a emmenées. On a entendu, dans le lointain, des sirènes de voitures de police. L’écran est devenu noir.

J’ai encore répété, effarée.

‒ C’est pas possible ! Non, mais c’est pas possible !

‒ Oh, mais attends ! Attends ! C’est pas fini.

Le temps que la caméra se cale. Un pavillon de banlieue. Au petit matin. Ça a zoomé. Sur la grille. À laquelle était suspendu un soutien-gorge rouge. Puis sur la boîte aux lettres. La culotte, assortie, y était étalée au large. Ça a encore zoomé. Sur le nom des propriétaires. « Célia et Antoine MORIN » Puis, au-dessous, en plus petit. « Valériane Morin » Ensuite, un immeuble. Là aussi, au balcon du quatrième étage, pendaient des sous-vêtements. Blancs, ceux-là. Et encore Une boulangerie. Sur la bâche de laquelle avaient été déposés deux strings et deux soutien-gorge.

Manon a précisé.

‒ Ce sont deux sœurs qu’habitent là

‒ Ce que je ne comprends pas

‒ Qu’est-ce tu comprends pas, maman ? Ça s’est pas fait au hasard, leur truc. T’y as pas fait gaffe, mais ils leur ont aussi pris leurs sacs. Ils avaient leurs adresses du coup. Forcément. Et ils y sont allés de leur petite mise en scène. Que tout le monde sache qui c’étaient ces filles à qui c’est arrivé. Pour les humilier un peu plus encore. Pour que les voisins ne puissent pas s’empêcher d’y repenser chaque fois qu’ils les croiseront.

‒ C’est dégueulasse ! C’est vraiment dégueulasse !

‒ Et en prenant bien soin de faire ça de très bonne heure. Que ça reste visible le plus longtemps possible.

Sur l’écran, il y a encore eu tout un défilé de sous-vêtements suspendus à des grilles, cloués à des portes, scotchés à des fenêtres. Et puis est apparu un type cagoulé, à la voix nasillarde. « Alors, les blaireaux ? Ça vous a plu, notre petite expédition ? Nous, oui. Énormément. On recommencera du coup. La même chose. D’autres trucs aussi. Vous verrez, on va bien s’amuser. On a plein d’idées. Ah, oui, mais c’est vrai que vous allez voter une loi dimanche. Une loi pour nous empêcher de nous amuser avec vos petites femelles comme on en a envie. Oui, ben un conseil : ramassez-les, vos femelles ! Parce qu’elles ont encore rien vu.

Elle a éteint.

‒ Alors, maman, toujours autant de scrupules ?

Non. Non. Je voterai « oui » dimanche. Sans la moindre hésitation.


mercredi 27 mai 2020

Châtiments (2)

Plus que cinq jours avant le grand référendum. Et tous les sondages vont dans le même sens. Le « oui » devrait l’emporter avec plus de 82 % des voix. Autant dire que c’est plié. Et ce, d’autant plus que notre gouvernement, qui compte une majorité de femmes, fait le forcing. D’un côté, en s’appuyant sur toutes sortes d’études et de statistiques qu’il prétend incontestables, il vante à l’envi les mérites des châtiments corporels publics qui, s’agissant des crimes et délits sexuels, seraient, selon lui, hautement dissuasifs et, de l’autre, il met l’accent sur les dégâts provoqués par la prison sur ceux qui sont amenés à y séjourner. Et je dois bien reconnaître qu’un certain nombre des arguments qui sont mis en avant tiennent la route. Quand il a passé un certain nombre d’années incarcéré, un individu est totalement désocialisé. Dans l’immense majorité des cas, à la sortie, il aura perdu son emploi et aura toutes les difficultés du monde à en retrouver un. Bien souvent, lassée de l’attendre ou révulsée par les actes qu’il a commis, sa femme l’aura quitté. Il va alors se tourner, par la force des choses, vers d’anciens compagnons de détention qui l’accueilleront et l’entraîneront avec eux dans des trafics et méfaits divers auxquels il était resté jusque-là totalement étranger. Et ce sera la spirale infernale. Arguments convaincants, j’en conviens, mais qui ne parviennent néanmoins pas à me convaincre complètement. L’idée qu’on puisse fouetter publiquement un individu, quoi qu’il ait fait, continue à me hérisser le poil. Question de génération sans doute : Manon et ses amies ne comprennent absolument pas mes scrupules.

‒ Mais t’es une femme, maman, enfin ! Tu veux pas qu’on te foute la paix ?

‒ Si ! Bien sûr que si !

‒ Eh ben alors ! C’est la seule solution. Comment faut te le dire ?

Et elles me noient sous un déluge de vidéos d’agressions récentes, toutes plus sordides les unes que les autres.

‒ Et ça ! Et ça ! Et ça !

‒ Je sais bien, oui !

‒ Et t’hésites encore ! Quand ils se seront pris une bonne correction à poil devant tout le monde, tous ces types, crois-moi que ça leur en fera passer l’envie. À eux et à ceux qui pourraient être tentés de les imiter.

‒ À poil ? Peut-être pas quand même !

‒ Mais si ! T’as pas entendu la ministre ? Elle veut obtenir des résultats significatifs aussi rapidement que possible. Et elle a été très claire là-dessus. Il ne doit subsister, avant le vote, aucune ambiguïté sur les intentions du gouvernement en ce qui concerne cette loi. Or, les rapports d’experts qui lui ont été remis vont tous dans le même sens : pour que ce soit efficace, pour que la sanction soit réellement dissuasive, il faut qu’elle soit la plus mortifiante possible. Les décrets d’application prévoiront donc que la nudité intégrale sera de mise, lors de l’application de la sentence, pour tous les individus condamnés pour agression sexuelle. Et il y a pas que ça. L’exécution sera systématiquement diffusée sur une chaîne nationale, hors heures de grande écoute bien sûr, pour préserver les enfants.

Son amie Zara avait lu ça, elle aussi, oui.

‒ Mais moi, c’est pas à la télé que je veux voir ça. C’est sur place. Même s’il me faut, pour ça, courir jusqu’à l’autre bout de la France. Et au premier rang. Même s’il me faut, pour ça, apporter mon sac de couchage et dormir sur place.

Les autres aussi étaient partantes.

‒ Toutes ensemble, on ira. Et on va te leur coller une de ces hontes à ces salauds ! Ils vont nous entendre, ça, c’est sûr !

‒ Et en prendre pour leur grade !

J’ai émis l’idée que, peut-être, ce n’était pas vraiment nécessaire.

Elle a bondi.

‒ Et eux ! Eux ! Quand ils se sont mis à quatre pour me dépoiler en boîte devant tout le monde et me pisser dessus, oui, me pisser dessus, c’était nécessaire, ça ? J’en fais encore des cauchemars. Presque toutes les nuits.

Alexine, elle, c’était dans un local poubelle.

‒ Qu’ils m’ont Qu’ils m’ont

Elle n’a pas pu continuer. Elle a éclaté en sanglots.


mercredi 20 mai 2020

Châtiments (1)

16 avril.



« Êtes-vous favorable au remplacement des peines de prison par des châtiments corporels administrés publiquement, s’agissant des délits sexuels les plus graves ? » C’est la question à laquelle nous aurons à répondre par oui ou par non dimanche prochain. Et je suis incapable de me décider. Je suis partagée. Parce que bien sûr que la situation est dramatique. Viols et agressions sexuelles sont devenus monnaie courante. Les chiffres sont, à proprement parler, hallucinants. Nous ne sortons plus, nous, les femmes, que la peur au ventre. Toutes mes collègues de travail, absolument toutes, ont été victimes de prédateurs sexuels. Certaines à plusieurs reprises. Moi-même… mais je n’ai pas envie de revenir là-dessus. Non. Il faut absolument que cela s’arrête. C’est évident. Il y a urgence. Mais est-ce que c’est LA solution ? Nos gouvernants prétendent qu’il n’y en a pas d’autre. Ils en veulent pour preuve les résultats spectaculaires obtenus par les pays étrangers qui se sont récemment engagés dans cette voie. La Grande-Bretagne notamment. Et, dans une moindre mesure, la Russie. Pourquoi ? Parce que ces délinquants, qui affichent un mépris délibéré de la femme, qui prétendent se viriliser en l’utilisant comme bon leur semble et en l’humiliant, ne redoutent absolument pas la prison. Bien au contraire : y avoir goûté fait d’eux des héros auprès de leurs « potes », leur confère à leurs yeux un véritable prestige. Et ils font tout naturellement des émules. Un comble ! Tandis que se prendre une bonne correction, au vu et au su de tout le monde, c’est « la honte ». Et la honte, il n’y a rien de pire pour eux. Vu sous cet angle évidemment, tout paraît simple. Et l’instauration d’un système de châtiments corporels ne peut que faire baisser la criminalité sexuelle de façon tout à fait significative. Comme c’est incontestablement le cas à l’étranger. Il n’empêche… Il n’empêche que c’est quelque chose qui me révulse profondément. Que c’est un constat d’échec. Que je ne peux pas accepter de gaîté de cœur qu’il faille avoir recours à des méthodes aussi barbares. À des châtiments aussi cruels et dégradants. Et, si je finis par voter oui, en pensant à toutes ces femmes quotidiennement agressées, ce qui est le plus probable, ce sera avec bien des réticences malgré tout. D’autant qu’à mon avis, c’est mettre là le doigt dans un engrenage extrêmement dangereux. Châtiment réservé exclusivement aux criminels sexuels ? Oui. Bien sûr. Au début. Mais après ? La boîte de Pandore sera ouverte Un jeu d’enfant, pour un gouvernement sans scrupules, que d’étendre ce type de sanction à d’autres délits beaucoup moins graves et puis, progressivement, à tous les délits…


Manon, elle, n’a pas tant d’états d’âme. Ses vingt ans sont sans nuance.

« Mais enfin, maman, faut savoir ce qu’on veut. Tu trouves ça normal, toi, que je me fasse peloter le cul, dans la rue, dix fois par jour ? Sans compter tout le reste.

‒ Non ! Bien sûr que non !

‒ Eh ben alors ! Et Alexine ? Tu te rappelles pas ce qui lui est arrivé à Alexine ? Et Zara ? Et Pauline ? Et tant d’autres…

‒ Je sais bien…

‒ On en a marre, nous, mais marre à un point ! Alors s’il y a que ça qu’ils comprennent, une bonne correction, s’il y a que ça qui peut les faire changer d’attitude, eh bien qu’on les fouette ! Tant qu’on voudra. J’applaudirai. Et des deux mains.

‒ Il n’empêche… C’est, malgré tout, un châtiment particulièrement avilissant et…

‒ Oh, mais c’est des idées de ton époque, ça, maman ! On est en 2039. Les choses ont changé. On a évolué. Et heureusement ! N’importe comment, c’est tout bête, hein ! Ceux qui veulent pas que ça leur arrive, ben ils auront qu’à garder leurs mains dans leurs poches et leur bite dans leur slip. C’est pas plus compliqué que ça !




mercredi 13 mai 2020

Premières armes (22)

‒ Je me suis fait avoir.

‒ On peut dire ça comme ça, oui, si on veut.

‒ Mais pourquoi elle est allée raconter un truc pareil, Camille ? Pourquoi ?

‒ Parce que c’est vrai.

‒ Hein ? Mais jamais de la vie !

‒ Ah, tu vas pas recommencer, écoute ! Ça t’a pas suffi ?

‒ C’est pas ça, c’est que…

‒ Que quoi ?

‒ Non. Rien.

‒ Je préfère. Non, parce qu’il va absolument falloir que tu arrêtes de mentir, comme ça, à tout bout de champ. C’est insupportable à la fin.

Je me suis tu. C’était pas la peine. De toute façon, quoi que je puisse dire, quoi que je puisse faire, cela se retournerait nécessairement contre moi.

Et j’ai entrepris de me rhabiller. Avec mille difficultés. Le contact du tissu sur mon derrière en feu était un véritable calvaire.

Elle m’a regardé faire. Me contorsionner et grimacer. Jusqu’au bout.

‒ Là, ça y est ?

Ça y était, oui.

‒ Bon, alors tu te redéshabilles.

Que je…

‒ Oui. Quelqu’un t’avait dit de te rhabiller ?

‒ Personne, non, mais…

‒ Mais quoi ? Alors, allez ! Enlève-moi tout ça ! Tu en prends vraiment très à ton aise, toi, en ce moment, hein ! D’abord cette Julie. Que tu es allé nous sortir sournoisement d’on ne sait trop où. Et puis, cerise sur le gâteau, cette Camille. Je te suffis pas ? On te suffit pas avec mes copines ?

‒ C’est pas ça…

‒ C’est quoi alors ? Non, parce que voilà des semaines et des semaines que je m’échine à te former. À faire en sorte que tu sois à peu près opérationnel. Et reconnais qu’au début, c’était pas vraiment ça. C’était même pitoyable. Il a fallu que je fasse preuve d’infiniment de patience à ton égard. Je t’ai tout appris. Tout. Si t’arrives à satisfaire à peu près tes partenaires, c’est grâce à moi. Uniquement grâce à moi. Et il faut qu’au moment où je pourrais enfin recueillir le fruit de mes efforts, et en faire profiter mes amies, tu ailles te dilapider avec la première venue. Oh, mais ça va pas se passer comme ça, mon garçon ! Fais-moi confiance que ça va pas se passer comme ça. Certainement pas !

Elle m’a tendu son portable.

‒ Tiens, appelle !

Que j’appelle ? Mais que j’appelle qui ?

‒ Benoît. Ou Martin. Celui que tu veux.

‒ Et je lui dis quoi ?

‒ Que je l’attends.

Ce fut Martin. Fou de joie.

‒ Margaux ? Elle m’attend ? C’est pas vrai ! J’arrive.


Un quart d’heure après, il était là.

‒ Regarde ! Viens voir !

Mon derrière.

‒ Prends-en de la graine ! Voilà ce qui arrive quand on me désobéit. Ou que, malgré tous les conseils que j’ai pu patiemment dispenser, on ne parvient pas à me satisfaire.

Il y a eu le bruit d’un baiser. Un souffle qui se fait court.

Il a murmuré.

‒ J’ai envie de toi ! Comment j’ai envie de toi !

Ils ont dérivé vers le lit.

Elle a ordonné.

‒ Les mains sur la tête, toi, Alexandre !

Ils ont roulé sur le lit. Il l’a couverte de baisers. A enfoui ses mains sous son pull. Il a fouillé. Extirpé. Malaxé.

Il s’est raidi. Il a gémi. Et il a joui.

Elle l’a doucement repoussé.

‒ Ben, va y avoir du boulot ! Mais c’est justement ça qui est intéressant.

Elle s’est tournée vers moi.

‒ Tu peux te rhabiller, Alexandre. Et rentrer chez toi. On en restera là tous les deux.


FIN


mercredi 6 mai 2020

Premières armes (21)


J’ai débarqué chez Margaux passablement énervé.
« C’est quoi cette histoire que soi-disant j’aurais couché avec Camille ?
Elle m’a foudroyé du regard.
‒ Tu vas commencer par te calmer. À genoux !
J’ai voulu protester.
‒ J’ai dit « À genoux ! » Là ! Et tu baisses ton pantalon. Les fesses à l’air. Allez ! Bien. Et maintenant je t’écoute.
J’ai balbutié. Bafouillé.
‒ C’est parce que… Elle m’a dit… Elle croit que… Et je passe pour un menteur, moi, maintenant.
‒ Et c’est pas ce que tu es ? Tu n’as pas essayé de lui faire croire que j’étais ta mère ? Tu ne lui as pas menti sur les raisons pour lesquelles tu recevais la fessée ? Tu ne lui as pas soigneusement caché que tu t’envoyais allègrement en l’air avec toutes mes copines ?
‒ Oui, mais ça, c’est parce que…
‒ Parce que quoi ?
‒ Non. Rien.
‒ Tu lui as menti, oui ou non ?
‒ Pas sur Camille.
‒ Que tu dis
‒ Hein ? Mais je l’ai vue qu’une fois, cette fille. Une seule fois. Et encore avec plein de monde autour.
‒ Et dans une situation qui n’était vraiment pas à ton avantage, ça, c’est sûr ! Seulement tu es tellement sournois que va savoir ce que tu as bien pu aller trafiquer derrière notre dos à tous. Tu sais où elle habite. Alors tu as très bien pu
‒ Mais jamais de la vie !
‒ Bon, mais tu sais pas ? On va pas perdre notre temps en discussions stériles. On va la faire venir, Camille. Et Julie aussi, par la même occasion. Comme ça tout le monde va pouvoir s’expliquer. Entre quatre-z-yeux.
Ah, oui ! Oui ! J’étais d’accord. Oui. Comme ça la vérité allait éclater au grand jour. C’en serait fini de ce cauchemar. Oui.
Et elle les a appelées. D’abord Camille. Et puis Julie.
‒ Là ! Voilà ! Elles vont pas tarder.

Et elle a vaqué à ses occupations. Sans plus me prêter la moindre attention.
‒ Margaux !
‒ Qu’est-ce qu’il y a ?
‒ Je pourrais pas ?
‒ Quoi ? Te rhabiller ? Sûrement pas, non ! T’es très bien comme ça, là, à genoux.
‒ Mais
‒ Elle t’a déjà vu tout nu, ta Julie, non ?
‒ Ben oui, mais
‒ Camille aussi. Et elles savent toutes les deux que tu te prends des fessées. Alors il est où, le problème ? Non, tu ferais beaucoup mieux d’en profiter pour réfléchir. Et pour te demander comment tu te débrouilles pour te mettre sans arrêt dans des situations pareilles
Et elle m’a planté là.

Un coup de sonnette. J’ai tendu l’oreille. Ce devait être Julie. Oui, c’était Julie. C’était sa voix. Mais je ne pouvais rien distinguer de ce qui se disait. Ça a parlé. Interminablement parlé. Plus d’un quart d’heure durant.
Et puis un autre coup de sonnette. Camille, forcément.
Elles ont presque aussitôt surgi, toutes les trois. Et Camille s’est littéralement jetée sur moi.
‒ Qu’est-ce que j’apprends ? Tu me trompes ?
Une gifle. À toute volée.
Je l’ai regardée, éberlué, sans réagir. Mais qu’est-ce que c’était que cette histoire ?
Une autre.
‒ Espèce de petit salopard ! Ah, je pouvais te faire confiance !
Julie l’a rejointe. Elle aussi une gifle. Deux. Trois. Quatre.
‒ Ah, tu pouvais jurer tes grands dieux !
‒ Et puis Margaux ;
‒ T’es content ? T’es fier de toi ?
Elle leur a tendu un martinet à chacune.
‒ Allez-y, les filles ! Allez-y ! Et le ménagez pas, hein ! Il l’a bien mérité.
Ah, ça, pour pas me ménager, elles m’ont pas ménagé. Elles ont tapé. Ensemble. Toutes les deux. À grands coups. Avec jubilation. Malgré mes cris. Malgré mes hurlements. Malgré mes supplications. Je suis tombé en avant. À plat ventre. Elles ont continué. Les reins. Le dos. Les épaules.
C’est Margaux qui a fini par les arrêter.
‒ Ça peut peut-être suffire, non ?
Elles ont jeté les martinets.
‒ Je veux plus entendre parler de toi. Jamais.
‒ Ni moi non plus !
Et elles se sont enfuies en claquant la porte.
Margaux m’a aidé à me relever.
‒ Bon, ben voilà ! T’as gagné le gros lot.